BÉNÉDICTE,
1917-2024

2024

Dessin mural
Pastels secs et pigments d’oxyde de fer noirs
h354xh249xL335cm


Création in-situ à L’Arc Scène Nationale, le Creusot
pour l’exposition Manuten∫ions

Commissariat de Élise Girardot

« Lundi 27 mai vers le Creusot, 6h. 

3h45 de route. C’est pas tant. mais 3h45 à conduire un peu sonnée, les yeux dans le vide et le bide retourné. Des images d’horreurs nous sont encore parvenues dans la nuit. J’avais encore les yeux collés au réveil, que le téléphone dans la main me crache le monde. Puisque c’est devenu le premier réflexe: Prendre le monde en pleine gueule aux aurores, puisqu’il n’y a pas d’heure pas de pause pour l’horreur. Je regardais des images que je ne comprenais pas, j’ai regardé encore, puis encore… et j’ai compris ce que j’étais en train de voir. Enfin je crois ? Peut-on comprendre ? Prendre le monde en pleine gueule aux aurores, d’autres se prennent des bombes. 

On est en 2024, en France.
« la guerre n’est plus ici » 
« nous avons appris des erreurs du passé » 
« plus jamais ça » 

On, y pense et on oublie. 
Peut-on comprendre ?
« La guerre n’est plus ici » 

Dans ce pays et cette époque ou je peux tranquillement m’en aller faire des dessins sur un mur, parce que je suis invitée et payée pour ça. (Pour combien de temps ? )  
« Dessiner sur un mur », je me sens indécente. 
Dessiner sur un mur une jeune femme qui marque à la craie des cylindres de moteur d’avion, de guerre. Une jeune femme de 1917. On l’appellera Bénédicte. En fouillant dans les archives ouvrières de l’académie François Bourdon, il y en avait de ces « Bénédicte », ces munitionnettes s’affairant dans des « ateliers peinture », « ateliers dessin », destinés à l’artillerie. J’ai peint et dessiné dans des ateliers de beaux arts, moi, sur du papier ou des toiles, pas sur des bombes. Pas sur des bombes, qui iront exploser mon voisin, comme celles qui tueront mon frère, mon amant, mon enfant… pas sur des bombes. 

Parce qu’on est en 2024, en France 
« la guerre n’est plus ici » 
« nous avons appris des erreurs du passé » 
« plus jamais ça »

Et si elle n’est plus « ici » la guerre, qui fabrique les bombes qui explosent ailleurs ?
Plus Bénédicte, Bénédicte est morte à 22 ans pour avoir respiré trop de poussières dans les usines à fabriquer la mort. Qu’une chair à canon indirecte mais qui n’aura jamais de plaque. Parce que Bénédicte est une femme. Les usines à fabriquer la mort tournent encore aujourd’hui dans ce pays où il n’y a plus de guerre. 

On est en 2024 et des familles meurent encore sous les bombes au quotidien mais la guerre n’est plus ici alors on oublie. La France où la guerre n’est plus est l’un des plus gros exportateur d’armes au monde. Où vont tuer nos armes Françaises ? On est en 2024 en France et des journalistes sont placés en garde à vue pour avoir voulu savoir. La guerre n’est plus ici.

On est en 2024, en France et on préfère continuer à nourrir la haine de l’autre plutôt que de se battre pour qu’un jour les usines à fabriquer la mort n’aient plus besoin de tourner. 

À Bénédicte. »

Célia Muller


Ariane Lavrilleux, journaliste d’investigation du site « Disclose » a été placée en garde à vue trente-neuf heures et son domicile perquisitionné.
(19-20 sept 2023)

Une enquête intéressante sur les ventes d’armes françaises : https://disclose.ngo/fr/investigations/french-arms

Bénédicte est un prénom provenant du témoignage qu’un médecin de la commission hygiène industrielle, Marcel FROI :

Elle est morte au printemps dernier […] elle a travaillé des mois, toujours paisible, toujours attentive, toujours ponctuelle, dans la grande manufecture d’Etat où les invividualités s’effacent […] aussi longtemps que ses forces durèrent […] elle a travaillé tant qu’elle avait pu, jour et nuit, sans dire à personne ses souffrances […] elle a souffert et elle est morte elle aussi […] elle mériterait qu’on érigeat sur sa tombe anonyme une simple pierre avec ces mots  : « Bénédicte, vingt-deux ans, morte pour la France » ” « Histoire et mémoire de deux guerres », « les munitionnettes en 14-18 », « elles étaient en guerre »